Le blog de Jacqueline Peker : littérature, homéopathie, animaux, musique

La laïcité comme l’aimait ma grand-mère…


Il y a des années que je parle de l’amour que ma grand-mère éprouvait pour la France, pour les Français et pour tous ces hommes qui avaient permis que chacun puisse vivre à sa façon.
Au printemps 1911, en arrivant Gare de l’Est, elle avait embrassé le sol français. Elle avait un peu plus de 15 ans et s’était enfuie du Shtetl où vivaient ses parents, près de Lodz. Dans le train, elle avait rencontré un jeune juif de 18 ans qui, pour ne pas devenir rabbin, avait, lui aussi, quitté le domicile de ses parents vivant dans le quartier juif de Varsovie.
Ma tante Léa, la sœur aînée de ma grand-mère, les a hébergés et deux mois plus tard ils se mariaient à la Mairie des Lilas et louaient l’appartement du 20 rue de Romainville. C’est la même sage-femme qui a mis au monde ma mère, mon oncle et moi, quelques années plus tard…peu croyable de nos jours.
En se mariant ma grand-mère avait obtenu un « livret de famille »…ses premiers papiers officiels qu’elle regardait chaque jour en pensant que seul un pays laïc protège ainsi les émigrants.
Le 17 mai 1912, Louise et Ferdinand sont devenus les parents d’une petite Rose de « nationalité française ». Louise ne savait ni lire, ni écrire et Ferdinand lisait et écrivait le yiddish. Ils étaient courageux et très vite ils ont trouvé du travail dans un atelier de maroquinerie.
En 1915, ils ont essayé de s’installer à New-York. Le racisme, qui ressemblait à l’antisémitisme qui existait en Pologne, leur a fait peur. Ils commençaient à aimer la Liberté, l’Egalité, la Fraternité et leur fille étant française pouvait aller dans une école laïque.
Ils sont rentrés aux Lilas pour que leur petit Jacques, né le 17 octobre 1917, soit aussi Français.
Je ne sais pas comment on dit « laïc » en yiddish mais pour ma grand-mère la laïcité c’était l’école pour tous, le droit de travailler même le samedi quand il fallait terminer une commande, le droit d’entrer dans n’importe quel magasin, grand ou petit…Elle n’a jamais pu obtenir la nationalité française, même après avoir eu son mari fusillé le 15 décembre 1941, son fils tué sous la torture parce que communiste et son gendre mort à Auschwitz. Elle n’en voulait à personne sauf aux antisémites polonais qui, jadis laissaient les juifs, mourir de faim et de froid.
La laïcité c’était son appartement avec l’eau et les toilettes sur le palier mais une grande cuisine qu’elle pouvait chauffer au bois. La laïcité c’était les robes et les manteaux qu’elle pouvait acheter au Carreau du Temple. La laïcité c’était d’avoir fait de sa fille une sténodactylo et de l’avoir mariée à un juif roumain, mon père, devant le maire des Lilas. La laïcité c’était d’avoir un fils instituteur et qui avait suivi les cours d’une école normale. Ce fils était communiste et travaillait avec Maurice Thorez. Il avait fait son service militaire en Tunisie, lui dont les parents étaient des apatrides. Bien sûr qu’elle n’a pas compris qui était Pétain et pourquoi on arrêtait les Juifs. Elle disait qu’il faisait toutes ces lois justement pour retourner à des lois fascistes prêtes à abattre les étrangers, les ouvriers, les communistes…Je me souviens qu’à sa mort nous avons mangé des crêpes et bu de la vodka maison.
Pour elle, les gens qui dans la Nièvre nous avaient sauvées, étaient tous des laïcs même le curé.
Dès notre retour à Paris, printemps 1945, elle a voulu me raconter la Pologne, sa fuite, son mariage et dès 1930, leur réussite professionnelle. J’ai pu lui apprendre à signer son nom et surtout à chanter la Marseillaise. Elle ne voulait plus que nous parlions de religion mais elle m’apprenait à apprécier la cuisine ashkénaze.
Elle est partie en 1964 comme détruite par le rapport Khrouchtchev ? Elle n’avait pas encore 70 ans.
Qu’aurait-elle pensé de ce que nous vivons actuellement ? de cette mise au panier d’une laïcité, vieillotte certes mais ô combien efficace ? Une laïcité qui lui avait permis de vivre dans ce pays qu’elle aimait passionnément depuis plus de 50 ans ? je lui ai offert un petit coin de terre française et un rabbin pour chanter le Kaddish.
Juive elle était née et elle ne s’en ai jamais cachée. Mais la France avait fait d’elle une femme comme les autres.

 

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L’école de la rue Romain Rolland où nous avons tous  appris à lire et à écrire…

 

    • Garance sur 2 octobre 2016 à 20:15

    Quel beau texte, à sa lecture, j’aurais aimé connaître cette grande dame. À travers toi, il y a un peu d’elle. Quelle histoire émouvante.
    Garance

    • Pascal G. sur 18 septembre 2016 à 20:39

    « Juive elle était née et elle ne s’en ai jamais cachée. Mais la France avait fait d’elle une femme comme les autres. » Cette phrase en conclusion d’un très beau texte résume parfaitement ce qu’est la laïcité. Merci Jacqueline !

    • Verrey sur 2 septembre 2016 à 18:34

    Bravo Jacqueline c’est très beau et très émouvant
    Je t’embrasse

    • Bertie sur 2 septembre 2016 à 14:35

    La laïcité comme je l’aime aussi. Merci pour ce magnifique billet. Une fois de plus vous m’avez émue et rassurée sur ma ligne de pensée. Je vous embrasse.

    • marie christine sur 1 septembre 2016 à 21:26

    Moi aussi, je fais ovation , je pleure, c est trop….Oh comme j aimerais moi aussi connaitre l histoire de ma famille , ma Jacqueline ..MERCI..Beaucoup d Amour pour toi..Mazel Tov

    • Gisèle sur 1 septembre 2016 à 20:04

    Je me lève et fais une ovation. Et à la belle grand-maman aussi ! Bravo à celle qui a eu le grand courage de s’enfuit du Shtetl et nous a permis de bénéficier de sa petite-fille qui rayonne, je dirais à travers le monde (puisqu’elle se rend jusqu’au Canada ! ) Mazel Tov ! Merci grand-mère « pas comme les autres  » Et merci d’avoir cru en la laïcité.

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