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alors que, pendant tant d’années, elle a su me prouver qu’elle était la fonction essentielle de mon cerveau. Je n’ai peut-être pas su la préserver…mais je lui ai toujours accordé ma confiance. J’ai lu des milliers de livres, écouté de la musique classique ou du jazz, parfois même des chansons, enseigné les médecines alternatives et l’hématologie, écrit des livres pour aider les propriétaires d’animaux, raconté mille choses pratiques tant à la radio qu’à la télévision, fait des discours pour obliger les autres à partager mes idées, regardé couler des larmes et partagé bien des éclats de rire…Comme le l’ai aimée cette mémoire toujours en état de veille. Et là…depuis quelques mois, elle a comme des ratées et plus je la bouscule, et plus elle me nargue. J’oublie des rendez-vous, des conversations, des coups de fil importants, des notes à régler…J’oublie même de remplir le frigo, de régler des factures, d’arroser les plantes…mais je reste consciente et je n’ose pas imaginer le pire. J’ai signé un contrat avec la maison Post-it…et je me rebiffe dès que je constate la moindre faiblesse. Je ne suis plus patiente qu’avec Milord qui a compris que je n’oublie jamais les câlins. J’ose à peine imaginer dans quel état est mon télencéphale et comment je vais terminer tout ce que j’ai entrepris. Je constate que plus je m’inquiète, plus je me rebiffe et plus j’ai tendance à vouloir tout disséquer, moins je domine la situation. Qui a dit que les plus beaux souvenirs devaient être les plus récents ? Alors que tant de souvenirs anciens sont entrain de s’échouer sur les rives d’une de mes circonvolutions cérébrales…Oïstrakh jouant Beethoven, Charonne en 1961, les Rosenberg, le Mont Valérien, la mort de Staline, la guerre d’Algérie et la mort d’un seul homme, mes copains d’Alfort, la trahison de Malraux, la vodka faite par ma grand’mère, des amphithéâtres de faculté, mon diplôme de vétérinaire et tous les autres comme consécutifs à une boulimie de succès… Souvent, et plus encore depuis l’arrivée de Milord, je parle avec mes animaux disparus. Mais je me demande si je n’ai pas surtout envie de parler avec moi-même. Je sais qu’il y a des moments que je voudrais pouvoir revivre…la découverte d’un sourire, d’une musique, d’un vin blanc de Bourgogne, la douceur d’un baiser. Après tout qu’importent mes trous de mémoire ! J’ai oublié le nom d’un metteur en scène, le numéro de téléphone de mon généraliste, le prix du litre d’essence, le lieu de naissance de Victor Hugo, mon numéro de S.S, l’adresse de mon plombier…mais qu’est-ce que tout cela a de tellement important pour que je lui laisse tant de place dans mon cher cerveau ? Ce qui compte c’est de pouvoir caresser chaque lettre de mon clavier, de déguster ma tasse de café et d’y plonger ces petits financiers faits maison, d’écouter Clara Haskil jouer Schumann, de retrouver le rire de ma mère et de laisser Milord me ronronner des mots d’amour. Je viens d’admettre que ma mémoire a bien le droit de flancher…Mais je vais tout de même essayer de la ménager. . |
1 commentaire
Bonsoir Jacqueline,
J’ai toujours une grande complicité tranquille à vous lire … lointaine, sans que rien ne vous oblige … proche , sans que rien ne vous oblige non plus …
La mémoire qui flanche ? Alors, partageons : j’ai toujours eu la mémoire qui flanche ! Mon pire souvenir remonte à mes 6 ans :t première rencontre avec Vercingétorix que je prenais déjà, à l’époque, pour un demi quelqu’un, entre le vers et le singe, car il datait, croyais-je, d’un palais holi(s)tique , un truc entièrement voué au passé révolu , contenant tout tout tout de ce qui ne bougerait jamais plus, au point d’être pétrifié à la bibliothèque ! Que sa mémoire pardonne. C’est que je suis née à la campagne : on vénérait les livres …. sans comprendre vraiment à quoi ils devaient servir autre qu’à la vénération, précisément !
C’est ainsi que j’ai élu Le dictionnaire comme Bible et cru dans le verbe , lui aussi mêlé du vers et de l’herbe. J’ignorais, à l’époque, que de grands penseurs avaient élu « d’homicile » dans les entrailles des lettres pour y chercher le sens divin.
Vercingétorix bénéficiait d’un encadré de deux lignes, jaune bouton d’or, dans mon livre de leçons, ce qui indiquait que nous devions apprendre par cœur l’encart qui lui était dévolu. Je n’ai jamais pu … toute la famille s’est consacrée à la tâche, ce soir-là … en vain. C’est ainsi, je crois, que j’ai définitivement renoncé à ma mémoire de soumission, par cœur, précisément !
Cependant, mon amour pour le verbe (qui n’avait pas de majuscule à l’époque, pas plus que mon amour de l’herbe et de tout être vivant n’avait de particule , même élémentaire) m’a interdit de renoncer à connaître. Alors, j’ai touché au silence intuitif … J’ai favorisé ma mémoire vive au profit de la mémoire morte, c’est-à-dire que j’ai consacré le grenier de mon cerveau à l’ouverture, la seule forme qui permette l’échange entre les contraires … le plein et le vide, l’hiver et le chaud, l’amour et le révolu, le masculin et l’intériorisé …. la porte ouverte sans rien retenir … la conscience bée ! la poésie, peut-être .
Je ne voudrais pour rien à la ronde , abuser de votre écoute … alors je reste sur cette porte battante … béance sans visée … là où je dépose un bonheur entier … ou je vous espère immensément amoureuse et libre en ne retenant … que le vent d’aimer.
Cordialement,
cyli
PS : j’aime beaucoup cette photo de Ninou … qui a vécu l’enfer et découvre la mer …. un an déjà … et l’aide précieuse de mon véto homéo…
http://www.cyli-breton.com
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